Si en français «gastronome» désigne une «personne qui aime la bonne chère», en russe (гастроном), cet emprunt au français signifie une boutique où l’on vend des produits gastronomiques. Je me souviens de la première fois où je suis entré dans l’une de ces boutiques à Moscou, l’épicerie Elisseïev. Du temps de l’URSS, on l’appelait simplement Gastronome N° 1 (Гастроном №1). On y trouvait tous les raffinements culinaires dont raffolait l’élite soviétique. L’existence même d’une élite révélait une contradiction au sein de la société soviétique. Officiellement, l’URSS ne possédait plus de classes sociales ; mais le concept des gastronom impliquait que certaines personnes menaient un style de vie privilégié. Le principe rhétorique de base du réalisme socialiste était que ce mode de vie élitaire était acceptable parce que, en plus d’inciter à une productivité du travail plus élevée dans le présent, dans un proche avenir, il serait partagé par tous les peuples soviétiques. Dans les mots de Fitzpatrick : le réalisme socialiste consistait à «voir la vie en devenir, plutôt que la vie telle qu’elle était». La nourriture, sa qualité et l’accès à celle-ci structuraient donc la société soviétique, comme de nombreuses autres sociétés d’ailleurs.

Ce blogue est dédié à cette dimension sociale de la nourriture dans les sociétés totalitaires. Comme le blogue fera la part belle aux cartes, en voici déjà une qui montre l’importance des terres noires dans la structuration de l’espace nazi. Elle a été réalisée avec QGIS. Au bas de la carte, on trouve un lien vers une carte en ligne réalisée par mon étudiant, Joshua Vachon.

Épicerie Elisseïev à Moscou, 2016, photo de l’auteur. On remarquera le style art nouveau.