Pour le séminaire de maîtrise en histoire de l’alimentation que j’avais donné en cuisine en 2018, j’avais proposé au Centre Multi Loisirs de Sherbrooke d’utiliser leur cuisine en échange d’une série de 4 ateliers sur la fermentation. Ces ateliers avaient été très populaires et très appréciés. L’un portait sur le pain au levain et le fromage frais, un autre sur le kombucha et le kvas, un autre sur la bière et l’hydromel, et un dernier sur la choucroute et autres lactofermentations. Un peu plus tard, j’avais été invité par les étudiant.e.s en études de l’environnement à l’Université de Sherbrooke pour présenter à l’agora de la bibliothèque Roger-Maltais la technique de la lactofermentation. Une employée de l’université (qui avait eu vent de mes formations) m’approche alors et me dit: «C’est vous, ça, M. Kombucha!» J’ai trouvé ça très drôle et c’est resté. C’est donc sous ce nom que j’aimerais lancer un nouveau projet dans ce blog (culinaire cette fois), qui comportera des recettes de fermentation.

En temps de pandémie, beaucoup de gens réalisent qu’ils n’ont pas de provisions à la maison et, quand ils en ont, ce ne sont souvent pas des aliments qui contiennent de la vitamine C, or celle-ci est indispensable pour maintenir un système immunitaire en santé. D’où l’utilité de fermenter, pour avoir des légumes (locaux) et de la vitamine C à l’année, sans avoir à dépendre d’un système agro-alimentaire qui, on le voit maintenant, n’est pas sans faille. Des études scientifiques ont également démontré que les probiotiques (les bactéries responsables de la fermentation) renforçaient notre système immunitaire. Raison de plus pour apprendre à fermenter, en ces temps où un bon système immunitaire peut faire la différence entre la vie et la mort. Commençons donc par une recette de kombucha.

Il n’est pas nécessaire d’avoir une mère de kombucha au départ. On peut en fait commencer avec une bouteille de kombucha achetée au magasin. Celle-ci contient déjà toutes les bactéries et levures qui forment ce que l’on appelle une communauté symbiotique de bactéries et de levure (en anglais SCOBY). D’abord, faire du thé. Portez l’eau à ébullition. Si l’eau qui sort de votre robinet est très chlorée, il est préférable d’avoir laissé évaporer préalablement l’eau sur le comptoir toute la nuit. Le chlore tue les bactéries, y compris celles qu’on veut cultiver ici. Quand l’eau a bouilli, ajouter 5 sachets (ou 10 grammes) de thé pour 3 litres d’eau et laisser infuser une dizaine de minutes.

10 grammes de thé vert et deux grammes de pousses de sapin baumier

Il est préférable d’utiliser un thé noir ou un thé vert, mais pas de tisane. On peut ajouter avec le thé des herbes, comme de l’achillée millefeuille (en respectant la posologie) ou de la camomille. J’aime bien ajouter des pousses de sapin baumier ou du tchaga. Toutes ces plantes ont des vertus médicinales. Le mieux est de placer les herbes dans un sac ou un coton à fromage. Après infusion, on retire le sac et on ajoute deux tasses de sucre brun biologique qu’on dilue, puis on laisse refroidir jusqu’à ce que le liquide soit de la même température que notre peau, soit autour de 37C. Il n’est pas recommandé d’ajouter du miel. Le miel est un antimicrobien, donc cela risque de tuer nos bactéries. Le kombucha de miel existe, ça s’appelle du jun. Mais il n’est pas aussi vieux qu’on le prétend. Au lieu de venir du Tibet ancien, ce serait une invention californienne des années 1960. Je pense que lorsqu’on joue avec les bactéries, vaut mieux se fier à ce qui se pratique depuis des milliers d’années. Donc du sucre.

On verse le liquide dans un grand bocal et on ajoute alors la bouteille de kombucha achetée du magasin ou notre mère. Recouvrir le bocal d’un linge pour éviter que poussières et insectes ne tombent dedans. Les levures vont transformer le sucre en alcool, tandis que les acétobactères vont ensuite transformer l’alcool en acide acétique (ou vinaigre). Après quelques jours (combien? tout dépend de la température ambiante), une pellicule de cellulose va se former à la surface. C’est le moyen trouvé par notre SCOBY pour assurer que les levures aient accès à l’air qui leur est nécessaire. Cela empêche aussi les autres micro-organismes de s’installer dans le bocal. À chaque fois que vous ferez du kombucha, une couche supplémentaire va se former sous la précédente. Après trois ans, ma mère est vieille et grosse. Des points bruns peuvent se former à la surface de votre mère. Ce n’est pas de la moisissure, c’est normal.

Pas de panique, c’est normal

En fait, il est très rare que de la moisissure s’installe. Ça ne m’est jamais arrivé. La raison est que le kombucha est trop acide. Vous allez aussi remarquer des filets bruns sous la mère, qui s’en détachent, et qui flottent en suspension, descendant puis remontant. Ce sont les levures. C’est normal.

C’est normal

Comment savoir si la fermentation est terminée? Placez votre nez au-dessus du bocal. Vous devriez percevoir une certaine acidité. Si c’est le cas, ne pas attendre, car (surtout en été), ça peut alors très vite tourner au vinaigre, littéralement. Dans quel cas, tout n’est pas perdu: rien de meilleur qu’un vinaigre de kombucha dans une salade. Il est donc temps maintenant pour la prochaine étape.

D’abord retirez votre mère et placez-là dans un contenant hermétique, en vous assurant de la recouvrir de kombucha. Cela va la prémunir contre les moisissures en la gardant dans un milieu acide. Puis mettez-la au frigo, jusqu’à la prochaine brassée. J’aime, quant à moi, la laisser dans son bocal d’origine et plutôt verser le kombucha excédentaire dans une jarre avec robinet. J’ajoute ensuite dans la jarre de deuxième fermentation (celle sans la mère) des fruits congelés (fraises, camerises ou baies d’argousier achetés à l’épicerie; bleuets, mûres, framboises, amélanche ou cynorhodon cueillies respectueusement dans la nature) pour nous apporter goût, vitamines et antioxydant.

À gauche, la jarre avec les fruits, à droite celle avec la mère qui s’en va au frigo.

Je laisse infuser mes fruits toute la nuit. Tout le contenu en vitamines et autres nutriments des fruits va se retrouver dans le liquide. Il ne faut pas à cette étape ajouter d’herbes médicinales, car l’infusion serait trop intense, voire nocive. Il ne faut jamais sous-estimer le pouvoir des plantes.

Dernière étape, embouteiller. Il n’est pas nécessaire de désinfecter les bouteilles (comme pour la bière), car le kombucha est suffisamment acide pour tuer les autres bactéries. Seulement s’assurer que les bouteilles sont propres.

Il faut s’assurer aussi d’avoir des bouteilles capables de résister à la pression, ici avec un bouchon qui permet à l’excédent de gaz carbonique (produit par la fermentation alcoolique) de s’échapper, évitant que la bouteille explose, ce qui est très dangereux. Dans son livre sur l’art de la fermentation, Sandor Katz mentionne les nombreux accidents où des gens ont perdu un œil ou ont été défigurés par l’explosion d’une bouteille sous pression. J’ai d’ailleurs fait une école d’été d’une semaine avec Sandor au Vermont.

Je suis un fermentateur diplômé!

Si l’on a pas de bouteilles adéquates, on peut toujours se servir au robinet, les gaz en moins. Les vertus sont les mêmes. On peut réfrigérer, pour une boisson rafraîchissante en été. Bonne dégustation!