J’écris un livre cet été sur l’histoire de la fermentation. Il en existe déjà un, mais même si j’ai beaucoup de respect pour son auteur, il demeure un peu dilettante.

En plus de faire l’histoire de la fermentation, mon livre donnera des recettes, notamment sur comment faire de la choucroute. En fait, c’est vraiment la chose la plus simple du monde, à moins de commencer à se complexifier inutilement la vie, comme le chef Daniel Vézina avec ses sacs Ziploc; très authentique et écolo, bravo!
Donc, tout d’abord se procurer des choux. Ça semble une évidence, mais le moment de l’année où on l’achète est important. En hiver, le chou aura tendance à contenir moins d’eau et c’est problématique, comme on va le voir plus loin. Aussi, le mieux c’est d’acheter son chou à la fin de l’été (quand il est gorgé d’eau) et d’en faire de la choucroute qui va nous durer jusqu’au printemps (et zéro déchêt, Daniel). C’est ce que les gens du Nord de l’Europe faisaient. Ils s’assuraient ainsi d’un apport en vitamine C tout au long de l’hiver. D’autant que la fermentation augmente la biodisponibilité de la vitamine C. Ça nous évite d’avoir à acheter des oranges qui ont traversé tout le continent et qui, à l’arrivée, contiennent beaucoup moins de vitamines et, personnellement, je trouve leur goût et leur texture inintéressants. Et c’est sans parler des dangereux pesticides qu’ils contiennent.
Dans une émission de l’Épicerie, on apprenait que quand les oranges arrivent chez le grossiste, les boîtes affichent une mise en garde en gros caractères sur les pesticides qu’elles contiennent. Principalement de l’imazalil, un fongicide reconnu comme étant probablement cancérigène. Une fois en épicerie, on ne retrouve plus cet avertissement car les détaillants ne sont pas tenus de l’afficher. Même si on achète des oranges biologiques, ce n’est pas vraiment mieux pour l’environnement, puisque les camions ou les avions acheminant ces oranges libèrent des tonnes de GES. Donc, pourquoi ne pas acheter local, bio et si vous dites à la personne qui vous vend vos choux que c’est pour faire de la choucroute, ielle vous vendra des choux moches pour quelques sous. J’ai ainsi réalisé l’an dernier 15 L de choucroute pour huit dollars, alors que c’est à peu près le prix en magasin pour… 700 ml !
Commencez par retirer les premières feuilles et mettez-les de côté, on va s’en servir plus loin (pas de gaspille!).

Coupez le chou en deux et retirez la queue. Certains la laissent, d’autres trouvent que ça donne un goût amer. Dans un livre de recettes soviétique que j’ai lu, on les fait fermenter à part.

Hachez le chou finement. En Allemagne, les gens se servent d’une sorte de mandoline qui coupe le chou si fin, qu’on parle de cheveux d’ange. On pourrait aussi se servir d’un robot ménager, mais personnellement j’apprécie un peu de texture. Or, plus on tranche le chou fin, plus rapidement il va perdre de son croquant.

Déposez le chou tranché dans un grand bol et saupoudrez de sel. Il est important que le sel ne soit pas iodé, car c’est antimicrobien. J’utilise personnellement du sel kascher. Vous allez me demander combien de sel? Commencez par en saupoudrer un peu puis malaxez. C’est comme si on massait le chou. C’est plutôt zen et relaxant. Continuez à malaxez jusqu’à ce que le chou se soit ramolli, qu’il prenne moins de place dans le bol. Goûtez alors au chou. Vous devez percevoir un goût de sel. Si ce n’est pas le cas, ajoutez-en à nouveau et continuez à malaxer. Le sel a deux fonctions ici: extraire l’eau pas osmose et ralentir l’action des bactéries.

Quand pouvez-vous cesser de malaxer? Si vous êtes capable de presser une poignée de chou et qu’il en sort du jus (et je ne parle pas de quelques gouttes), alors le compte est bon. Sortez un gros bocal propre (pas besoin de le désinfecter) et déposez dedans une première couche de chou que vous allez ensuite aplatir au fond du bocal avec votre poing (ne prenez pas un instrument, vous risqueriez de casser le bocal et de vous faire bobo).

Puis ajoutez une autre couche et faites de même. L’idée est de compacter le chou pour éviter qu’il se forme des poches d’air. L’air est ici notre ennemi car nous travaillons avec des bactéries qui n’en ont pas besoin et nous voulons éliminer la possibilité à celles qui en ont besoin de s’installer dans notre bocal. En pressant le chou, on s’assure qu’il soit recouvert de son propre jus, donc pas d’air. C’est aussi une façon de rendre le stockage plus efficace: nous allons faire rentrer trois gros choux dans un bocal!
Quand notre bocal est bien plein, on lave les feuilles que l’on avait mises de côté et on forme un bouchon avec au sommet du bocal, en s’assurant de pousser sur les côtés pour bien recouvrir notre choucroute. De cette façon, s’il y a oxydation au contact de l’air ou si des bactéries qui aiment l’air s’installent dans le haut du bocal, elles vont s’attaquer à ces feuilles et non à notre choucroute. Au moment d’ouvrir, on aura qu’à jeter le bouchon végétal.

On referme le bocal. Le miracle de la fermentation va alors se produire, avec les bactéries naturellement présentes sur le chou qui vont commencer littéralement sa digestion, et ce, sans aucune compétition étant donné que 1) on a retiré l’air; 2) les lactobacilles vont rendre le milieu si acide, que seules elles y résistent, pas même le botulisme.
Ces bactéries vont essentiellement, dans les mots de Sandor Katz, «forniquer et péter». L’idéal est donc d’avoir un bouchon avec un seau en caoutchouc pour permettre à tout ce gaz de sortir, sans quoi le bocal va éclater. Sinon, on peut toujours purger le bocal en dévissant un peu le couvercle chaque jour. En hiver, ouvrez une fenêtre car les premiers jours il va sortir beaucoup de gaz carbonique et ça n’en prend pas beaucoup pour avoir mal à la tête. Placez aussi le bocal dans une assiette, car du liquide va s’en écouler.

Normalement, on mettrait le bocal dans une cave. Le froid en plus du sel contribue à ralentir la fermentation et donc à faire en sorte qu’on ait de la choucroute jusqu’au printemps. Mais un comptoir de cuisine fait tout aussi bien l’affaire. Il faut attendre au moins un mois. Si vous n’ouvrez pas le pot, vous pouvez attendre jusqu’à un an. Une fois le pot ouvert par contre, il est recommandé de le placer dans le frigo. D’où l’avantage de faire des bocaux plutôt qu’un baril de choucroute.
Quand on pense choucroute, on pense hot-dog. Et c’est vrai que la combinaison est gagnante. Mais ce n’est pas la seule. Pensez à un déjeuner hivernal : choucroute, miel non-pasteurisé, noix et bleuets congelés pour un apport en vitamine C, protéines et antioxydants. Vous pouvez aussi incorporer la choucroute à des plats au four, mais il faut savoir alors que la cuisson va tuer les probiotiques et la vitamine C.
Quand vous arriverez au fond du bocal, ne jetez pas le jus qui s’y trouve. Conservez-le dans un bocal au frigo. Nous verrons prochainement comment s’en servir. Nous verrons aussi comment faire une saumure. Si au moment de malaxer votre chou il n’y avait pas assez de jus parce que le chou serait trop sec, vous pourriez toujours ajouter de la saumure pour vous assurer que la choucroute baigne bien dans le liquide.
Voilà, c’est pas plus compliqué que ça. Tous à vos bocaux !
P.S. Au moment d’ouvrir le bocal, humez la choucroute, puis goûtez-y: tant l’odeur que le goût devraient révéler une certaine acidité, gage de la salubrité du produit. En l’absence d’acidité, concluez que la fermentation n’a pas marché et ne consommez pas la choucroute. Il ne devrait pas non plus y avoir trace de pourrissement, dans tel cas, jetez le produit au complet, car les champignons ne sont que la pointe de l’iceberg et plongent leurs filaments invisibles profondément. Le secret d’une choucroute réussie passe souvent par un bon bocal, comme celui sur les photos. C’est un investissement rentable.
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