À moins que vous ne soyez l’un des ces adeptes du pain blanc industriel qu’on trouve dans les magasins, qui peut aussi servir d’oreiller tant il est moelleux, vous serez d’avis, je pense, que le pain au levain a meilleur goût. Ce dernier implique toute une flore bactérienne, responsable de la complexité de son goût, contrairement à la levure, qui est un bioélément actif isolé au XIXe siècle pour assurer aux boulangers une production uniforme, mais au final, moins gustative. On peut acheter son pain au levain dans une boulangerie artisanale, mais il est alors généralement assez cher. Or, on peut facilement le faire soi-même. La première chose, c’est de créer son levain. Rien de sorcier: il faut mélanger de la farine avec de l’eau déchlorée. Pour obtenir cette dernière, il faut la laisser évaporer toute la nuit sur le comptoir ou la faire bouillir une vingtaine de minutes. Il y a encore un autre truc comme je le montrerai plus loin. Donc, on a mélangé eau et farine pour obtenir un mélange juste assez consistant pour enrober une cuillère quand on la plonge dedans. Les bactéries dans la farine vont digérer celle-ci et, comme ce sont en partie des lactobactéries, le mélange va devenir acide, assurant sa conservation sur le comptoir à température ambiante et donner au pain cette caractéristique légèrement acidulée propre au pain au levain. Il y a aussi des levures qui vont se développer dans notre levain. On peut donc parler, comme pour le kombucha, d’un SCOBY. Il est important de nourrir régulièrement son levain pour le maintenir en vie, en lui donnant un peu de farine et un peu d’eau tous les jours. Le levain doit être dans un pot en verre et recouvert d’un linge, ce qui va permettre aux levures de respirer.

On sait que notre levain est en forme et prêt à être utiliser quand on voit à la surface des bulles.

De temps en temps, on change le bocal car des microbes indésirables peuvent éventuellement s’installer sur la surface qui n’est pas en contact avec le levain acide

On peut donc commencer à faire du pain.

Nous allons suivre ici une même recette pour faire 4 sortes de pain. Voici la recette en question:

400g de farine
30g de levain
30g de miel ou de sirop d’érable ou de mélasse
4g de sel (sans iode)
Assez d’eau pour former une pâte

Quelle farine? En général, j’aime utiliser 200g de farine non blanchie avec 200g de farine de blé entier. D’ailleurs, en magasin, le pain peut être étiqueté «de blé entier» si 51% de la farine en est. Un pain fait seulement de farine blanche est parfait pour faire des pains hot-dogs (pensez guédille au homard!). C’est correct de temps en temps, mais manger toujours du pain blanc cause des pics d’insuline et éventuellement ces pics mènent au diabète de type 2. Donc, il est préférable de manger plutôt du pain avec du blé entier, dont les sucres sont libérés plus lentement dans l’organisme, donnant le temps à notre pancréas de s’ajuster. Pourquoi alors ne pas faire un pain 100% blé entier? Parce que ses grains sont entier, la farine complète est plus lourde que la farine blanche. Donc, notre pain risque de ne pas lever. Une image: c’est comme essayer de faire tenir des petites pierres sur une toile d’araignée. D’où vient le fait que le pain lève? Une fausse conception consiste à croire que le pain lève parce qu’on a séquestré au moment de le pétrir de l’air dedans. La vérité est que les microorganismes de notre levain, tout en digérant la farine dans notre mélange, vont émettre des gaz carboniques. Ces gaz sont retenus captifs par le gluten dans notre farine, qui est composé de chaîne de protéines complexes et qui est très élastique. C’est pourquoi si l’on utilise de la farine sans gluten (par exemple de la farine de sarrasin), notre pain ne va pas lever. Au moment de la cuisson, ces poches de gaz carboniques enflent et font le pain lever.

Quelques considérations sur la farine maintenant. On peut mélanger plusieurs types de farines parmi celles qui entre dans le 200g de blé entier. J’ai dit qu’on ne devrait pas faire de pain avec de la farine sans gluten, mais rien ne nous empêche d’en ajouter un peu, sans dépasser 10% de la quantité totale de farine, donc disons par exemple ici 40g de farine de sarrasin. On pourrait ajouter encore 60g de farine d’épeautre, une très vieille céréale qui comporte des microorganismes particulièrement actifs; aussi, il vaut mieux en général ne pas trop en mettre, sinon la fermentation s’opère très vite et on se retrouve avec un liquide plutôt qu’une pâte. On pourrait compléter avec 100g de farine de Khorasan ou autre. L’idée est d’expérimenter toutes sortes de combinaison, qui vont influencer le goût, la texture, le temps de fermentation etc. La cie La Milanaise, ici en Estrie, produit d’excellentes farines variées et biologiques.

Pourquoi du miel ou du sirop d’érable ou de la mélasse? C’est pour donner un kick à notre levain et activer la fermentation. Ça donne aussi du goût, particulièrement la mélasse.

Pourquoi du sel? Pour le goût mais aussi pour affermir les chaînes de gluten. En passant, les gens qui souffrent d’intolérance au gluten sont peut-être surtout intolérants au pain produit en industrie, que l’on fabrique avec du gluten sous forme liquide pour obtenir un pain qui n’est pratiquement plus fermenté, pour sauver du temps et donc de l’argent. Dans le cas du pain au levain, il fermente toute une nuit, ce qui donne le temps au levain de transformer le gluten, le rendant plus digestible. Il est important que le sel soit sans iode, qui a des propriétés antibactériennes, or ici les bactéries sont nos amies.

Enfin, l’eau. J’ai déjà dit qu’elle doit être déchlorée. Cela dit, on peut aussi utiliser d’autres liquides à la place de l’eau. On pourrait la remplacer par le petit lait issu de la production de notre fromage maison, ce qui augmenterait le contenu en protéines de notre pain. On pourrait utiliser de la bière, voire le dépôt au fond de notre cuve quand on fait sa bière maison (je vais faire un tutoriel là-dessus prochainement). Si on a un cidre qui commence à décliner en qualité, on pourrait l’utiliser ici. De même pour un hydromel qui a moins bien tourné qu’on pensait; les défauts qui sont frappants quand on le boit ne paraîtront pas après cuisson du pain et les microorganismes dans l’hydromel vont enrichir la complexité microbiennes de notre levain. On peut d’ailleurs nourrir son levain avec ces mêmes liquides; je trouve que le petit lait apporte une qualité florale au levain. Je ne donne pas la quantité de liquide à utiliser pour former la pâte car ça dépend d’un tas de facteurs, comme la sorte de farine utilisée et l’humidité ambiante. Le mieux, c’est de commencer avec disons 150g de liquide, l’incorporer à la pâte, puis en ajouter graduellement. Si une boule de pâte se forme, mais qu’il reste toujours un peu de farine dans le fond du bol, retirez la boule et ajoutez dans le bol un tout petit peu de liquide, juste assez pour lier la farine qui s’y trouve, puis remettez la boule dans le bol et continuez de pétrir. Pas besoin de pétrir longtemps. Il y a plusieurs écoles ici, avec notamment ceux qui pétrissent pendant des heures. Je ne suis pas de cette école. Selon moi, dès que la pâte est homogène, c’est suffisant. On recouvre le bol et la pâte qui est dedans d’un linge à vaisselle que l’on a mouillé d’eau chaude, puis bien essoré. Idéalement le linge ne doit pas être en contact avec la pâte, sinon l’eau va se transférer à la pâte et la rendre liquide. L’idée est de garder notre pâte humide. On place le bol ainsi couvert dans le four, avec la lumière allumée à l’intérieur. C’est vrai du moins en hiver; en été, c’est souvent pas nécessaire. Au contraire, trop de chaleur va accélérer la fermentation et au matin on a un bol de liquide plutôt qu’une pâte. On peut encore faire du pain avec, comme je vais le montrer plus loin.

Donc, au matin, on devrait avoir une pâte qui a grossi, est plus molle et élastique que la veille. Elle n’aura pas nécessairement doublé de volume, comme on lit parfois dans les livres de cuisine. Mais nos poches de gaz carboniques y sont et la fermentation a fait son œuvre, notamment en améliorant la biodisponibilité des éléments nutritifs dans les céréales.

On retire le bol du four et on met ce dernier à chauffer. Je vais utiliser pour nos recettes au four deux températures différentes. Pour la première, nous allons régler la température à 243°C / 470°F. Je m’assure que dans mon four, la grille qui va accueillir mon pain est bien au milieu. Je dépose sur la grille un petit chaudron contenant de l’eau; ce qui va assurer une humidité, améliorant la cuisson. Pendant ce temps, on farine un espace de travail propre, sur lequel on dépose notre boule de pâte que l’on divise en quatre pâtons.

Puis, en jouant le moins possible avec la pâte pour conserver intactes nos bulles de gaz, on forme des petits pains. Je fais une légère incision sur le dessus avec une lame de rasoir.

On place ensuite nos pains dans un moule approprié, recouvert de papier parchemin pour éviter que la pâte ne colle au moule. Ici, j’utilise un moule perforé idéal pour faire des baguettes. On peut réutiliser plusieurs fois le papier parchemin.

Je mets au four, à côté de mon chaudron d’eau, pour 20 minutes. Après quoi, je retire et je laisse refroidir; ne pas consommer immédiatement car la cuisson va se poursuivre un peu pendant le refroidissement. On peut le manger quand il est tiède; avec du fromage frais, c’est malade!

Pour la prochaine recette, je procède exactement pareil, sauf que je règle cette fois la température du four à 193°C / 380°F et qu’au lieu de déposer la boule sur un espace de travail enfariné, je la dépose directement dans un moule à pain. C’est la solution quand notamment notre pain a trop fermenté et est devenu liquide. L’on a préalablement graissé le moule avec de l’huile de canola (qui supporte les hautes température) ou du gras de bacon ou de poulet (récupéré au-dessus d’un bouillon après un passage au frigo). Le gras de bacon, ensemble avec la cristallisation qui se forme sur la croûte du pain au levain pendant la cuisson, va apporter des saveurs complexes. Avec une lame de rasoir, je fais une ou plusieurs légères incisions, ce qui va permettre à la vapeur de sortir du pain sans le déformer. Je place le moule sur la grille du milieu, à côté de mon chaudron d’eau et je cuis pendant une heure. Après quoi, je démoule et je laisse refroidir sur une grille. Quand le pain est tiède, je peux le trancher avec un bon couteau à pain. On peut faire congeler les tranches et les sortir au besoin, ce qui évite à notre pain de sécher trop rapidement. Cela dit, si notre pain devient trop sec pour être mangé comme tel, il ne faut pas le jeter. On le passe dans le blender et ça donne une excellente chapelure, à déposer sur des pâtes avec du fromage parmesan râpé avant de faire gratiner, par exemple.

Pour la prochaine recette, on suit toutes les instructions, sauf que l’on travaille la pâte sur une surface enfarinée avec un rouleau à pâte pour en faire une pizza.

La pâte doit avoir la taille de le plaque de cuisson, que l’on a graissée avec l’huile ou le gras mentionnés plus haut. On badigeonne ensuite la pâte soit d’une sauce tomate (classique) ou d’une béchamel (pour une pizza nordique à la choucroute, aux pommes et au bacon, par exemple). On place sur la sauce les condiments de notre choix et on met au four, à 193°C / 380°F pendant une trentaine de minutes. Ce qui donne ceci:

Pizza sauce tomate, kale et fromage en grains

On laisse le chaudron d’eau dans le four 24 heures, ce qui va nous donner une petite quantité d’eau déchlorée pour nourrir notre levain.

La dernière recette est idéale pour les personnes qui n’ont ni moule à baguette, ni moule à pain, ni plaque de cuisson; vous n’avez besoin que d’une poêle antiadhésive. Sur une surface enfarinée, on découpe des pâtons que l’on travaille rapidement pour obtenir la forme d’un panino (singulier de panini).

On règle la température du feu sous notre poêle à moyen-vif et on y fait cuire un pain à la fois.

C’est très rapide. On retourne quand le premier côté est bruni. C’est prêt quand les deux côtés sont brunis et que le pain est ferme au toucher. On laisse refroidir un peu.

Puis on tranche sur le côté avec un bon couteau à pain, on garni de fromage et de condiments, puis on place dans la presse à panini (si on en a une) ou alors on remet dans la poêle. On peut faire congeler les panini et les dégeler au besoin. E buon appetito!

Panino au fromage Oka et poivron grillé